C’est marrant, d’habitude pour savoir si la publicité pour la purée en flocons est percutante, ou si Patrick Sébastien a fait de l’audience, on me demande mon avis, à moi la ménagère. Là, tout de suite, personne n’en a rien à foutre on dirait. Morandini nous oublie.

Bien sûr la ménagère est Charlie, mais tout le monde s’en fout. Elle devait être dans la foule à Paris ce dimanche, mais ne devait pas avoir tout compris, elle est conne la ménagère. On lui explique qu’elle ne sait pas pouquoi elle pleure. Qu’elle est un peu islamophobe parce qu’elle s’alerte du sort des femmes Yazidis, qu’elle est un peu gauchiste parce qu’elle a pensé à embrasser sa voisine Khadija, qu’elle est surtout très conne d’avoir été émue, et l’émotion c’est con, ah bon ? On l’a traitée de mouton parce qu’elle a marché, on l’a trouvée idiote quand elle disait que c’était beau tout ce monde.

Avec toute la tendresse du monde, je voudrais vous dire que la ménagère vous emmerde, vous les trieurs de bonne volonté, et vous aussi, les récupérateurs d’indignation.

Elle n’a pas le temps d’être agacée de votre mépris, elle a des enfants avec lesquels elle doit discuter, leur expliquer, leur dire que la force de la tolérance est immense, leur parler des droits de l’homme et de la résistance, pendant que vous parlez.

Elle doit téléphoner à ses potes, juifs, athées, cathos, musulmans, pour rire ensemble, et se dire que nous on tient bon, qu’on fera des crêpes ensemble.

Expliquer à sa fille qu’être une femme c’est être résistante, envers et contre tout, toujours, et qu’il ne faut jamais renoncer à son droit à la tendresse. Et se battre, toujours contre le sexisme ordinaire.

Elle n’a pas le temps d’être vexée de votre condescendance, de vos airs supérieurs, dans sa maison, dans son quartier, elle a sa tendresse à réparer.

Elle pleure Cabu, qui était un enfant, elle pleure Wolinski, qui aimait l’amour et qui aimait les femmes, elle pleure Elsa Cayat, une femme comme elle, plus libre et plus intelligente qu’elle, qui est morte assassinée. Elle pleure les juifs qui ont peur, elle pleure la laïcité qui la protègeait des cons, et elle pleure les autres, les policiers, les flics, les humains qui sont morts et avec eux notre innocence. Elle regarde ses enfants et ne sait pas comment faire pour préserver la leur car il faudra leur dire qu’il faudra combattre et que ce ne sera pas facile.

La ménagère sait très bien qu’au fond, vos débats, vos discussions byzantines, sont à chérir, que c’est la France, que c’est la démocratie, et que c’est la marque d’un pays de râleurs, que c’est notre seule chance d’échapper à la tyrannie d’où qu’elle vienne.

Alors elle continue, elle accepte votre mépris, vos histoires de récupérations, vos conneries de complots, vos grands chevaux. Et elle va faire des crêpes avec Sarah et Khadija, elle parleront de Cabu, et elles riront.

La ménagère est Charlie mais tout le monde s'en fout

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